Presque deux fois moins cher à la fruiterie

“Une liste d’emplettes comprenant 18 articles courants, comme des pommes de terre, des oignons et des raisins, nous a coûté 37,09 $ dans une succursale de la Fruiterie 440 à Longueuil, comparativement à 65,08 $ dans un supermarché Metro de Montréal. Une différence impressionnante de 27,99 $ en faveur de la fruiterie.

Lors des achats, effectués au début de la semaine, nous nous sommes assurés d’obtenir les mêmes articles, donc de qualité et de provenance semblable, en évitant les spéciaux, pour permettre une comparaison valable.

Bouche bée

Fruiterie 440 compte quatre succursales, dont trois dans la région de Montréal et une à Québec, et vend uniquement des fruits et légumes.

« Je suis bouche bée. Je ne m’attendais pas à ce que la différence soit aussi grande », souligne en entrevue DT Cochrane, un économiste attaché à l’organisme canadien pour une fiscalité équitable.

Pour lui, il est évident que les chaînes de supermarchés profitent d’un bassin de consommateurs captifs pour fixer les prix à leur guise.

« Ces grandes chaînes tirent avantage des habitudes des consommateurs », dit-il.

« La plupart d’entre nous, ajoute-t-il, ne vérifient pas chaque jour quel endroit offre les meilleurs prix. Il est plus facile d’aller toujours à un endroit qui vend toutes sortes de choses différentes. »

M. Cochrane n’est pas le seul à s’étonner du prix élevé des aliments dans les supermarchés. Les députés de la Chambre des communes se sont penchés récemment sur le sujet en dénonçant la cupidité des grandes chaînes (voir autre texte).

Appelée à réagir, Metro soutient, après vérification, que les fruits et légumes achetés à la fruiterie seraient « de spécifications et de catégories différentes même si à première vue, on peut penser qu’il s’agit du même produit ». C’est ce qu’indique dans un courriel la porte-parole de la chaîne, Geneviève Grégoire.

Cette différence de catégorie expliquerait en bonne partie l’écart de prix favorable à Fruiterie 440, selon Mme Grégoire.

Or, certains des produits que nous nous sommes procurés, comme les radis en sac, proviennent exactement du même producteur et contiennent la même quantité (voir ci-contre).

Dans le cas des pommes de terre jaunes que nous avons achetées, il s’agit, dans les deux cas, de sacs de 5 livres, produits au Québec et portant la mention Canada no 1.

Selon Sophie Perreault, PDG de l’Association québécoise de la distribution de fruits et légumes, ces différences de prix peuvent aussi s’expliquer par la flexibilité plus grande dont bénéficient les fruiteries lors de leurs achats.

Ententes à long terme

À cause des volumes importants et la nécessité d’obtenir des approvisionnements garantis, les grandes chaînes doivent conclure des ententes à long terme.

« La fruiterie, elle, peut acheter presque chaque jour. Elle est à l’affût, par exemple, des fins de lots, des deals, de produits peut-être de catégorie numéro deux ; la durée de conservation est aussi un facteur moins prédominant. Ça peut faire une grande différence pour les prix », souligne-t-elle.

Pour sa part, le professeur Sylvain Charlebois, expert en distribution et en politiques agroalimentaires à l’Université Dalhousie, note que les écarts favorables aux fruiteries ont toujours existé.

« C’est une question de commodité. En allant au supermarché Metro de son quartier, on économise du temps et de l’argent », dit-il. C’est pour cette raison que les prix des fruits et légumes y sont plus élevés.

Il a été impossible de joindre le propriétaire de la Fruiterie 440, Denis Demers, pour obtenir ses commentaires.

Manque de concurrence des grandes chaînes

La concurrence dans l’alimentation au Canada est défaillante, ce qui inquiète aussi bien les experts que les politiciens.

Le secteur est dominé par trois grands joueurs : Metro, Loblaw et Empire (Sobeys), qui ont multiplié les bannières et les acquisitions.

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, ils ont enregistré une solide croissance de leurs ventes et de leurs bénéfices. La crise de l’inflation n’a pas affecté négativement leurs résultats. Au contraire.

« En langage d’économiste, on appelle ça un oligopole, quand un petit nombre de joueurs contrôle tout un secteur », explique DT Cochrane.

« L’argument en faveur de la concentration des entreprises, poursuit l’économiste, est supposément les économies d’échelle et une meilleure efficacité que cela permet. Les consommateurs devraient être les bénéficiaires de cette efficacité et non pas les grandes chaînes. »

Profiter de la crise

À la Chambre des communes, on va plus loin. Le NPD, en présentant sa motion adoptée à l’unanimité pour demander au Bureau de la concurrence de faire enquête sur le secteur les accuse d’avoir profité de la crise de l’inflation pour engranger encore plus d’argent.

Elles auraient abusé de « leur position dominante dans un marché pour exploiter les acheteurs ou les producteurs agricoles », indique-t-on dans la motion.

Aux États-Unis, on prend également la question de la concentration des chaînes d’alimentation au sérieux. Le marché, par contre, y est plus fragmenté qu’au Canada.

On y compte un plus grand nombre de joueurs, notamment des chaînes régionales fortes, comme Publix en Floride.

Quand la grande chaîne nationale Kroger a annoncé son intention d’acquérir la chaîne Albertsons au coût de 24,6 milliards $, à la mi-octobre, elle a rencontré aussitôt l’opposition de l’administration Biden et devra obtenir l’approbation du Bureau américain de la concurrence pour que la transaction se réalise.”

*Publié par le site web journaldemontreal.com, le 30 Octobre 2022