“Les prix des aliments ont augmenté de 11 % au Québec en 2022, la plus forte hausse au Canada. Dans un rapport annuel publié lundi, 26 chercheurs prédisent que la tendance à la hausse se poursuivra en 2023, mais sera moins marquée.
Les prix des aliments devraient augmenter de 5 à 7 % au Canada, se traduisant par une hausse d’environ 1000 $ des dépenses alimentaires annuelles pour une famille de quatre personnes.
« En 2023, on s’attend à ce que les Canadiens continuent de ressentir les effets de la forte inflation des prix alimentaires », peut-on lire dans le rapport, publié chaque année par l’Université Dalhousie, l’Université de Guelph, l’Université de la Colombie-Britannique et l’Université de la Saskatchewan.
L’augmentation des prix en 2022 est due aux « perturbations de la chaîne d’approvisionnement ainsi qu’aux pénuries de main-d’oeuvre », des « répercussions directes de la pandémie de COVID-19 », peut-on lire dans le rapport. « Les événements climatiques défavorables, les tensions géopolitiques croissantes, les prix élevés du pétrole et la chute du dollar canadien sont autant de facteurs qui contribuent aux prix des aliments observés au détail. »
Cette inflation alimentaire « s’inscrit dans une mouvance mondiale, indique le directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois. Il était difficile d’éviter ce qu’il se passe actuellement ». L’augmentation a d’ailleurs dépassé de plus de 3 % les prédictions du précédent rapport, en raison de la guerre en Ukraine, qui a ajouté un « coefficient d’inflation », dit-il.
En 2023, les produits qui connaîtront la hausse la plus élevée seront les légumes, une catégorie d’aliments particulièrement touchée par les changements climatiques, explique la professeure en marketing JoAnne Labrecque, de HEC Montréal. Leurs prix devraient augmenter de 6 à 8 %.
Le prix de la laitue a particulièrement augmenté au mois de novembre, pouvant atteindre six à sept dollars. « D’habitude ces prix-là, on les a en février. Alors, qu’est-ce que ça va être en février ? » lance Mme Labrecque.
Les prix des produits laitiers, de la boulangerie et des viandes pourraient augmenter de 5 à 7 %, ceux des fruits de mer et des restaurants de 4 à 6 %, et ceux des fruits de 3 à 5 %.
Le Québec a connu la hausse des prix la plus marquée en 2022 au Canada (11 %). Un écart qui peut s’expliquer par le coût de l’énergie, selon Mme Labrecque.
« On sait que le prix de l’essence est plus élevé au Québec qu’en Ontario. Ce n’est donc pas nécessairement par les grands distributeurs que ça s’explique, car ce sont les mêmes trois grands joueurs — Sobeys, Metro et Loblaws — dans les provinces. »
La Colombie-Britannique, qui a connu la plus faible augmentation (9,2 %), « est un important producteur et exportateur de fruits et légumes », rappelle Pascal Thériault, agronome et économiste de l’Université McGill, contrairement au Québec, qui se concentre sur la production de quelques aliments et dépend beaucoup de l’importation.
Selon le rapport, l’augmentation des prix au Québec en 2023 devrait se situer en bas de la moyenne nationale, avoisinant les 5 %. « Les prix vont continuer à augmenter, mais pas au même rythme qu’en 2022 », particulièrement pendant la deuxième moitié de l’année, a indiqué M. Charlebois, qui a coécrit l’étude. « On n’est pas encore sortis de la tempête, mais il y a quand même de la lumière au bout du tunnel. »
« Si ça monte de 5 %, ce qui est quand même beaucoup comparé à des années prépandémiques, il reste que c’est la moitié de ce qu’on a vécu cette année », souligne M. Thériault. « Cependant, on ne parle pas d’une baisse du prix des aliments, on parle d’une baisse de la hausse du prix des aliments », nuance-t-il.
Mme Labrecque n’est pas non plus très optimiste. « Là, on parle juste de l’alimentaire, mais en 2022, tout a augmenté. Si on ajoute de 5 à 7 % sur les 11 %, ça fait 18 % d’augmentation. C’est beaucoup et, pour des revenus moyens, c’est difficile à absorber. »
Changer les habitudes
L’experte en commerce de détail ajoute qu’une grande partie des consommateurs ont déjà changé leurs habitudes face à la hausse des prix, en consultant plus rigoureusement les circulaires, ou en achetant plus de marques maison. « Si les revenus disponibles sont déjà serrés, les réduire encore de 7 %, avec les taxes et le logement qui augmentent, à un moment donné, l’équation est difficile. »
Selon M. Thériault, c’est ce changement d’habitudes qui peut faire baisser les prix, notamment le fait d’éviter d’acheter des aliments transformés, qui ont connu « le plus gros de la hausse. Le secteur de la transformation alimentaire n’est pas en train de s’en mettre plein les poches, mais vit lui aussi de grands stress financiers », précise-t-il.
« Dans certains cas, ce qu’on considère comme une pénurie va juste devenir une certaine réalité. A-t-on besoin d’avoir 47 sortes de céréales en rayon ? […] Il y a des produits auxquels on est habitués qu’on ne trouvera plus sur les tablettes », indique l’économiste.
Face à l’augmentation des prix des aliments, de nombreux Canadiens se sont tournés vers les banques alimentaires. Leur fréquentation « a augmenté de 15 % au Canada », peut-on lire dans le rapport. Et les trois experts consultés par Le Devoir s’accordent pour dire que la tendance se poursuivra en 2023.
Perte de confiance
Le rapport souligne également une perte de confiance de la part des consommateurs envers les épiceries. « Bien qu’il n’y ait actuellement aucune preuve indiquant qu’il y a des abus de la part des épiciers, près de 80 % des Canadiens avancent qu’il y a des abus dans le système », est-il écrit.
Ottawa a d’ailleurs réclamé, en octobre dernier, que le Bureau de la concurrence mène une enquête sur les profits des chaînes de marchés d’alimentation.”
*Publié par le site web ledevoir.com, le 05 décembre 2022