Entreprises et consommateurs se préparent à une récession en 2023
“Une majorité d’entreprises et de consommateurs s’attendent à une récession au Canada cette année. Principalement attribuée à l’envolée de l’inflation et aux hausses de taux d’intérêt censées combattre cette dernière, cette récession sera « modérée », espère-t-on, et aura relativement peu d’impact sur l’emploi, rapportent les dernières éditions de l’Enquête sur les perspectives des entreprises et l’Enquête sur les attentes des consommateurs au Canada dévoilées lundi par la Banque du Canada.
La « plupart » de la centaine d’entreprises qui ont répondu à l’enquête de la banque centrale à la fin de l’année dernière prévoyaient une récession au Canada au cours des 12 prochains mois, à raison notamment de presque 30 % qui entrevoyaient un recul de leurs ventes. Depuis les 18 années que cette enquête est faite, les seules autres fois où cette proportion avait été aussi élevée, c’était alors que s’amorçait la Grande Récession déclenchée par la crise financière à la fin de 2008 (47 %) et durant les jours les plus sombres de la pandémie de COVID-19 au printemps 2020 (59 %).
Du côté des consommateurs, « les répondants évaluent à 60 % en moyenne la probabilité qu’une récession survienneau cours des 12 prochains mois », rapporte la Banque du Canada. De ce nombre, une forte majorité s’attend à un ralentissement allant de léger et de courte durée (7 %) à modéré et de durée plutôt longue (47 %), en passant par léger mais de longue durée (17 %).
Pas comme les autres
Moins d’un consommateur sur six (15 %) craint toutefois que cette récession ne lui coûte son emploi, contre un tiers qui entrevoit une diminution de salaire, et près de la moitié qui pense avoir plus de difficulté à payer les factures (44 %) ou voir baisser la valeur de ses actifs financiers (49 %).
Les répondants estiment en effet que « les pénuries de main-d’oeuvre et le nombre élevé de postes vacants contribueront à stabiliser le marché du travail », rapporte la Banque du Canada. Pour les mêmes raisons, « les personnes qui pourraient perdre leur emploi au cours de la période de ralentissement prévue en trouveraient un nouveau plus facilement que lors des récessions précédentes ».
Cette perception semble se confirmer dans l’enquête auprès des entreprises. Bien que les intentions d’investissement et d’embauche futurs s’y fassent de moins en moins fortes depuis un an, on y comptait toujours, le mois dernier, recruter de nouveaux employés en 2023 au même rythme que durant l’année précédant la pandémie. « Plusieurs répondants quis’attendent à une réduction de la demande adoptent une approche prudente en matière d’embauche », rapportent les auteurs de l’enquête de la Banque du Canada. « Néanmoins, près de la moitié d’entre eux mentionne qu’ils prévoient embaucher du personnel pour répondre à la croissance anticipée de leurs ventes ou pour pourvoir des postes vacants. »
Il faut dire que la pénurie de main-d’oeuvre reste la deuxième préoccupation parmi celles le plus souvent évoquées par les entreprises, après la pression sur les coûts et devant l’incertitude économique, la tendance des ventes ou les chaînes d’approvisionnement. En voie de se stabiliser, ces chaînes d’approvisionnement ne sont plus évoquées comme un problème pressant que par une entreprise sur quatre, soit deux fois moins qu’il y a un an.
La faute de l’inflation et des taux d’intérêt
Le ralentissement économique que l’on entrevoit serait principalement le résultat de l’effet sur la consommation et les achats importants des ménages de l’envolée de l’inflation et de la hausse rapide des taux d’intérêt censée la freiner, estiment les entreprises. Plusieurs d’entre elles disent d’ailleurs reprendre graduellement leurs pratiques de fixation des prix d’avant la pandémie, c’est-à-dire des augmentations moins importantes et moins fréquentes.
Les consommateurs constatent de leur côté que leur pouvoir d’achat a diminué — notamment à l’épicerie — et en font entre autres porter la responsabilité aux « prix abusifs » et à « la recherche de profits » des entreprises. Ils disent avoir changé et réduit leurs dépenses, particulièrement en matière de voyage, d’hébergement, de restauration et de loisirs (88 %), de vêtements (74 %), d’épicerie (58 %) et de biens durables (59 %), comme les voitures et les électroménagers.
Plus des deux tiers ne croient pas que leur salaire parviendra un jour à rattraper cette hausse des prix (52 %) ou alors seulement partiellement (19 %). Chose certaine, la hausse annuelle moyenne des salaires prévue du côté des entreprises a diminué de 5,8 % à 4,7 % entre l’enquête du printemps et celle de l’automne.
Diversité de points de vue
Surestimant légèrement la hausse du coût de la vie à presque 8 % l’automne dernier, alors qu’elle était tout juste en dessous de 7 % sur un an, les consommateurs ne croyaient pas alors que l’inflation puisse ralentir à moins de 7 % d’ici la fin 2023. Mais sur un horizon de cinq ans, on pensait que l’inflation pourrait être revenue à 3,1 %, avoisinant un creux historique.
Cette moyenne cache toutefois une grande diversité de points de vue : plus du quart des répondants espèrent un recul net des prix, alors que plus du tiers redoutent le maintien de hausses supérieures à 5 %. En fait, si les trois quarts des Canadiens comprennent que leur banque centrale augmente ses taux d’intérêt pour ramener l’inflation à l’intérieur d’une fourchette cible allant de 1 % à 3 %, seulement deux sur cinq croient qu’elle y parviendra.
Les entreprises sont plus confiantes, quoique habitées aussi par des doutes. Selon une mesure, elles s’attendraient à une inflation encore à 4,7 % dans un an, mais déjà de 3,1 % dans deux ans et de 2,5 % dans cinq ans. Mais selon d’autres mesures, elles anticiperaient une inflation encore à 4,2 % dans deux ans, et près de deux entreprises sur cinq ne verraient pas de retour à 2 % avant 2026.
Tout cela montre que la hausse des taux d’intérêt produit l’effet escompté sur l’activité économique, les prix et les attentes des Canadiens, mais que leur banque centrale peut encore augmenter son taux directeur, la semaine prochaine, d’un dernier quart de point de pourcentage avant de marquer une pause pour le reste de l’année, ont estimé la plupart des analystes lundi. Pour être encore plus sûre de son coup, elle pourra compter aussi sur des données toutes fraîches sur l’inflation au mois de décembre qui seront dévoilées mardi.”
*Publié par le site web ladevoir.com, le 17 janvier 2023